Le temple bouddhiste de Shaolin, dans le Henan, cœur historique de la Chine, est célèbre à bien des égards. Fondé en 527 par le moine indien Boddhidharma, qui selon la tradition y contempla un mur pendant neuf ans sans bouger, le monastère est le berceau de l’école chan, mieux connue sous son nom japonais de zen car c’est au Japon qu’elle connut son plein épanouissement. Le temple est également réputé pour ses vestiges culturels et architecturaux : la Forêt de Pagodes et la Forêt de Stèles, inscrites au patrimoine mondial par l’UNESCO. Mais le temple de Shaolin est surtout connu pour sa tradition des arts martiaux, que Boddhidharma lui-même aurait imposée pour discipliner une communauté en proie à la paresse et au laisser-aller. Après avoir rencontré les moines de Shaolin en 2007, Sidi Larbi Cherkaoui décide de travailler en étroite collaboration avec le temple pour développer un projet commun pour lequel il crée la chorégraphie et danse lui-même avec les moines. Il s’associe au sculpteur anglais Antony Gormley, lauréat du prix Turner 1994, fait chevalier en 2014 et tout simplement l’un des plus grands noms des arts plastiques de notre époque, de son monumental Angel of the North (1998) à son installation de « formes corporelles » en fer Sight sur l’île de Délos en 2019. Gormley, qui partage le même intérêt que Sidi Larbi Cherkaoui pour la philosophie bouddhiste, fut donc invité à concevoir la scénographie. Pour la musique, le chorégraphe fait appel à un proche collaborateur, le compositeur polonais Szymon Brzóska, qu’on retrouve cette saison aussi dans la création Ukiyo-e, à écrire la musique. Il conçut le spectacle pour sa compagnie Eastman et lui donna le nom sanskrit qui désigne les écritures canoniques de la tradition bouddhiste : Sutra. Sutra devient ainsi un parcours d’échange culturel et social. Au moyen de traductions, de négociations et d’explications, les moines, le chorégraphe dansant et son assistant, Ali Ben Lotfi Thabet sont parvenus à créer un univers artistique qui évoque la Chine ancienne et nouvelle, d’une manière insolite et enjouée, en traitant de construction et de destruction, de transformations et de jeux. La scène est couverte de caisses en bois qui peuvent être modulées de manière à former des constellations différentes ; elles peuvent ainsi se dresser en mur, jeter un pont, ériger un temple ou représenter un cimetière. Elles créent un espace convertible à travers lequel voyagent les artistes. Ballet invité de la saison 22–23 du Grand Théâtre de Genève, au Bâtiment des Forces Motrices, Sutra promet un des moments, devenus rares, où la Chine et l’Occident peuvent, selon les mots de Boddhidharma, se « toucher droit au cœur. »